Les villes moyennes contre-attaquent
La sémantique dessert parfois les vocations. C’est le cas de la formule consacrée « ville moyenne » qui fait référence à la fois à la taille, mais aussi à l’ambition, coincée quelque part entre le petit et le grand. Il faut bien en convenir : il y a dans cette expression une forme de suffisance de la part de la grande métropole qui est détestable, une injonction de la proximité qui se révèle salutaire et une sorte de défiance vis-à-vis de nos mégacités qui excluraient plus qu’elles n’incluraient. Dans cet « appel de la forêt », le logement joue un rôle crucial et fondamental.
Son coût, mais aussi sa surface, son environnement et sa densité participent à la construction du fantasme de la ville moyenne. Or, comme le souligne Cécile Maisonneuve, présidente de la Fabrique de la cité, dans un sérieux travail d’enquête sur la ville moyenne, « quand les Français disent qu’ils ont envie d’habiter dans une ville moyenne, ils répondent d’abord dans la périphérie de la ville moyenne, la périphérie de la petite ville avant le centre de celle-ci », faisant fi des débats sur l’étalement urbain, la zéro artificialisation nette et la densité qui, de fait, entrent dans le champ du déni. Et peu importe si la ville moyenne n’a pas fait sa révolution numérique et écologique. En dépit de ces contradictions et de son patronyme peu amène, la ville moyenne a le vent en poupe, prend une forme de revanche par rapport aux métropoles et incarne ce nouvel eldorado dont la presse grand public fait ses grands titres. La crise sanitaire a renforcé ce sentiment grandissant, donnant à penser que la grande ville – Paris, pour ne pas le citer – est mère de tous les maux : propagation, contamination, mort... Les chiffres, il est vrai, confirment la tentation d’un exode urbain en faveur de villes plus accueillantes, plus humaines, dotées d’un art de vivre à la française, loin des couloirs crasseux du métro et du macadam défoncé parisien. L’intrusion imposée, massive et acquise du télétravail dans nos vies professionnelles conforte ce qui pourrait, demain, se transformer en tendance. Alors, la ville moyenne, fantasme ou réalité ?
Car, pour l’instant et comme souvent, la réa- lité, plus contrastée, est autre. La métropolisation engagée dans les années 2000 reste une tendance au long cours qui ne saurait faire de la France – pardon, de Paris, Lyon ou Marseille – une exception. Ensuite, le Français est versatile. Aujourd’hui, il vomit la ville. Demain, il se languira d’elle, faute d’emplois adaptés, de culture retrouvée et de brassage des populations, pour ne pas dire de mixité. Enfin, il faut cesser d’opposer métropoles et villes moyennes, voiture contre piéton, appartement contre maison. Entre ces deux voies, cette alternative qui cache la forêt, s’en dégage peut-être une troisième dont les jalons ont été posés par le concept de « la ville du quart d’heure ». Peu importe sa taille, la ville qui offre des services de proximité à ses administrés est le seul modèle urbain qui vaille. Et en la matière, il est vrai que les grandes métropoles françaises ont failli. « Comme remède à la vie en société, je suggère les grandes villes : c’est le seul désert à notre portée », écrivait à juste titre Albert Camus.
Sandra Roumi, présidente et directrice de la publication
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