Concevoir des lieux comme on plante des graines
Depuis quelques décennies, les transformations du climat et de notre environnement nous informent des déficiences du modèle de développement moderne, caractérisé par un rapport insoutenable au monde, aux ressources et à la biosphère. Hélas, l’inertie comportementale est si grande que l’indispensable bifurcation pèse désormais sur les épaules des jeunes générations, ramenant les enjeux d’éducation au cœur des débats. Dans ce processus, les modèles pédagogiques sont interrogés, tout autant que les espaces qui les accueillent. On sait à quel point les lieux de l’enfance sont des lieux fondateurs de notre expérience. « Les lieux nous forment, agissant comme des moules ou des matrices », écrit le professeur de lettres Mathias Fougerouse. Ils nous forment à la fois au sens physique, conditionnant nos gestes, nos habitudes, nos déplacements, mais aussi au sens pédagogique, parce qu’ils sont transmetteurs de valeurs. Nous savons que le cadre de vie dans lequel nous avons grandi influence nos comportements d’adultes, notre rapport au monde. Il a défini notre palette de références matérielles et spatiales, il a dessiné les contours de ce que nous qualifions d’ordinaire. Des paramètres particulièrement conscientisés dans la commande publique, et d’autant plus dans l’architecture scolaire. « Devenu bâtiment spécifique il y a seulement quelques siècles, l’édifice scolaire a revêtu une fonction politique, sociale et pédagogique. […] L’architecture publique a comme fonction importante de rendre manifeste des valeurs, ici celles que l’on associe à l’éducation », explique Marie Musset, de l’Institut Français de l’Éducation. Appréhendée comme un agent d’apprentissage, l’architecture scolaire est depuis longtemps un lieu d’expérimentation, parce qu’on pense que l’école est un terreau fertile de mutations sociétales. Ainsi, au rythme des évolutions pédagogiques, les espaces dédiés aux enfants se transforment, deviennent plus flexibles, plus perméables. Concevoir un bâtiment à faible impact environnemental, adapté au climat et à la géographie locales, ouvert sur le paysage et le temps qu’il fait, soigneusement inséré dans la morphologie et l’esthétique du quartier, c’est sensibiliser à une certaine manière de s’installer dans un territoire. Concevoir un bâtiment chaleureux, lumineux, construit avec des matériaux sains et naturellement beaux, c’est éduquer les sensibilités, et garantir la qualité de l’air intérieur. Laisser les matériaux bruts, apparents, concevoir des structures intelligibles, c’est aussi une façon d’enseigner les propriétés de la matière, la géométrie et la statique. Les talentueuses équipes de maîtrise d’œuvre qui ont conçu les six réalisations de ce numéro se sont posées ces questions, et formulent des réponses enthousiasmantes où le bois est utilisé avec évidence et esthétique.
Sarah Ador