L'essence de la forêt
La forêt française est composée à plus de deux tiers d'essences feuillues. Faire état de la structuration de la filière, de la ressource forestière au bois d'œuvre, permet d'entrevoir les contours, les obstacles, mais aussi les enjeux du développement des feuillus sur notre territoire, dans toute sa complexité. « Le paradoxe entre une ressource présente en quantité sur le territoire et le déficit commercial de sa filière révèle tout le retard et toutes les lacunes d'une industrie et son risque d'essoufflement » (1). Nous ne construisons plus avec les bois les plus durs, voire même avec les moins résistants, simplement parce qu'ils se transforment d'une manière plus efficace et sèchent plus rapidement alors que l'utilisation des bois durs feuillus, en structure, pourrait être l'une des réponses à ces enjeux.
Pourtant, tous les acteurs sont mobilisés : pépiniéristes, propriétaires, exploitants forestiers, bûcherons, débardeurs, scieurs, mérandiers, tonneliers, papetiers, menuisiers, charpentiers, architectes… Mais leur diversité fait état de la difficulté d'appréhender la filière dans son ensemble avec une approche holistique. Les propriétaires forestiers privés, qui possèdent les trois quarts de la forêt, récoltent ce qu'ont planté leurs grands-parents et replantent des arbres qui seront, à leur tour, coupés par leurs petits-enfants. L'échelle de temps de la forêt n'est pas celle de l'humain. Ce temps long s'oppose aux cycles toujours plus rapides dans lequel nous évoluons. Or, nous affrontons une autre accélération, celle des changements climatiques, et le temps d'adaptation de la forêt n'est pas compatible avec son renouvellement nécessaire. De nombreux projets exemplaires, construits en feuillus, voient le jour, en parallèle de la recherche sur le sujet, mais ils émanent d'une volonté politique tenace, et restent minoritaires. « Les choses changent. Mais si vite… est-ce que les habitudes des hommes pourront suivre ? » (2)
L'architecture bois devrait-elle aussi se défaire de ses habitudes et cesser de n'être appréhendée que par le biais des calculs de cubages ou de stockage carbone, pour se mesurer davantage à l'intelligence du choix de sa matière et à l'inventivité de ses structures : plus légères, réversibles, locales et ajustées ? Il reste certain que pour construire en feuillus, dans ce contexte d'accélération auquel les écosystèmes forestiers, et nous-mêmes, faisons face, il faudra subtilement allier l'héritage et l'innovation. Oser réinterpréter les traditions constructives à l'aune des avancées techniques et scientifiques. Continuer de tailler et sculpter ce manteau vivant qu'est la forêt, au plus juste de nos besoins, pour faire entrer la lumière au cœur des bois.
Anne-Sophie Gouyen
(1) Bois, Stella Buisan, Editions M.tropole du Sud, 2019
(2) Asminov Isaac, Fondations, mai 1942